Un imagier inépuisable

Publié le 30 Novembre 2014

Un imagier inépuisable

La structure de l’imagier Saisons de Blexbolex paraît traditionnelle : une image, un mot. La première page annonce simplement Des saisons. Pour chaque saison, une double page et le nom inscrit en haut de la page : Un printemps, Un été, Un automne, Un hiver.

Très souvent dans l’imagier pour enfants, il est écrit la maison, le bébé, parfois le mot sans article. L’utilisation particulière de l’article indéfini instaure d’emblée une originalité : le mot n’est pas prisonnier de la représentation choisie par l’auteur/illustrateur. Blexbolex compose des propositions, le lecteur dispose et constitue sa représentation à partir de ce qu’il est et de ses connaissances.

Rapidement un premier mot inhabituel : Une débâcle. L’image aide le jeune lecteur à comprendre ce que peut bien être une débâcle, mais aussi l’enchaînement subtil des images : le mot qui précède est Un patin, le suivant Un torrent.

Se dessinent comme cela des successions d’actions ou de faits (exprimés essentiellement par des noms communs et non par des adjectifs ou des verbes) ex : Une cueillette / Une blessure ; Une baignade / Un coup de soleil ; Une sécheresse / Un incendie.

Ce travail de cause à effet, d’association d’idées constitue un support complexe et riche pour l’enfant et l’invite à développer ses capacités d’analyse, à acquérir les notions de temps : Une graine / Une pousse ; Une bourrasque / un plaisir (plaisir de marcher dans les feuilles mortes tombées suite à une bourrasque) ; Un pique nique / des déchets.

Le temps est matérialisé par le temps de la pliure de la page ou le temps de tourner la page.

Multiplier les points de vue, étoffer les représentations possibles, jouer sur les doubles sens… l’intérêt de l’imagier n’est donc pas seulement de développer le vocabulaire de l’enfant et de « montrer » son quotidien.

Même si l’on devine le souci d’utiliser la richesse de la langue française, d’élargir les connaissances : Une décoration / Une contemplation ; Une exubérance (ici, l’abondance de la végétation ; Une précipitation (un bateau dans la tempête de la mer) / Une cohue (une foule de personnages) etc.

Le jeune lecteur entre dans le langage, il en perçoit les nuances, comprend les sens multiples pour un même mot. Les mots liés à la thématique des saisons prennent sens, Un départ (en été, le départ en vacances) ; Une bataille (de neige en hiver) ; Un rassemblement (d’oiseaux à l’automne).

Les images jouent de cette complexité. Par exemple Un retard : trois arbres, deux seulement sont feuillus, le troisième est donc en retard, et aussi un garçon avançant en bas à gauche, cela implique que d’autres enfants sont en avance (en dehors de l’image ?). Quelques pages plus loin, Un entêtement : les mêmes arbres, les deux premiers sont dénués de feuilles, celui qui ne poussait pas précédemment est rouge vif et le même petit garçon avance en sens inverse, en bas à gauche.

Les croisements sont multiples, les niveaux de lecture sont nombreux. L’image Une liberté, représente une femme seule marchant pieds nus en été. Une beauté, un bien-être et une sérénité sont suggérés. L’image mise en parallèle est Une solitude, un enfant jouant, seul, sur un banc. Ce qui est suggéré là c’est un ennui, un abandon…

L’association des deux pages inévitablement induit des questions, des réflexions. Quelle différence entre ces êtres pourtant tous deux seuls ?

La force et la sensibilité de cet imagier reposent justement dans la présence des hommes, des femmes, des enfants : comment occupent-ils la page, autrement dit comment traversent-ils les saisons ? Comment les gestes, les émotions sont-ils engendrés par les paysages, les conditions météorologiques (exemple : Une tristesse est représentée par un paysage d’hiver, Une inquiétude est imagée par un homme qui se demande quand la pluie va finir par tomber). Les personnages sont au cœur des rythmes des saisons et vivent les cycles avec toutes les variations d’intensité. Les champs lexicaux de l’eau (Un torrent, Une grêle, Une flaque, Une ondée, Une averse, Une inondation, Une soif, Une précipitation) et du vent (Une bourrasque, Une brise, Une tornade, Une bise, Un blizzard) reflètent ces changements.

Blexbolex utilise tous les possibles de l’album : pages pleines, pages vides, images cadrées ou non, zoom avant (Des lucioles / Un vœu), zoom arrière (Un nid, Un feuillage).

Il accorde des doubles pages aux mots suivants : Une ivresse, Des pompiers, Un horizon, Une avalanche, Une sieste, Un carnaval, Une exubérance, Un élagage, Un sommeil, Un crépuscule. Pas de logique systématique dans la construction de l’imagier, ces doubles-pages ne ferment pas la saison par exemple ou n’appartiennent pas à la même famille de mots.

Cet album interroge les saisons, questionne les gens et leur façon d’occuper le temps, il fouille dans la culture commune, dans l’intimité. Il incite à tourner les pages, revenir, recommencer, répéter. Inépuisable de sous-entendus, de découvertes et de mystères.

Blexbolex, illustrateur de livres pour la jeunesse, sérigraphe, a créé en 2008 un premier imagier L’imagier des gens (Albin Michel), pour lequel il a reçu « le prix du plus beau livre du monde » à la foire du livre de Leipzig en Allemagne.

Rédigé par Audrey Gaillard

Publié dans #Lectures

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