C'est demain
Publié le 27 Janvier 2015
C’est demain, et j’attends, droite comme un I devant ma fenêtre.
Les mains moites, le cœur affolé, je fais vibrer mes lèvres jusqu’à l’inconfort.
Bourdonnement qui emplit ma tête puis toute la pièce et recouvre le tic tac de la pendule.
J’ai le sourire timide j’ai le corps timide. Est ce que je le laisserai embrasser ma bouche ? Poser les mains sur mes seins. Je ne préfère pas.
C’est demain le rendez-vous il m’a dit est-ce que 15h ça te va ?
Je me souviens de l’heure précisément. Et du temps qu’il faisait dehors.
Je me prépare pour demain, je sautille comme une enfant, j’ai seize ans, ma jupe est chiffonnée je ne tiens pas en place. Mes joues rougissent à l’avance.
C’est demain et c’est loin encore.
Je vais en rêver.
Je dessine une maison, des fenêtres, des rideaux aux fenêtres, des enfants.
À 15h, mon cœur tapait, mon corps se laissait brûler par le soleil. Mes épaules étaient dénudées il les a regardées longtemps.
C’est demain qu’il revient le rendez-vous ?…
Je compte les heures, je scrute la pendule qui me nargue d’être aussi lente. Bruyante.
C’est demain ? L’ombre d’un mur de pierre, un très vieux mur, démoli par endroits.
Le premier baiser maladroit chaud et froid comme le mur ombragé et exposé au soleil selon.
Ses lèvres entièrement recouvraient les miennes mes yeux grands ouverts. Je le laissais prendre ma bouche. Figée, submergée.
C’est demain, je compte mon âge… peu importe.
Il m’a dit je t’emmène, dans la rue, loin, pas loin, mais je t’emmène…
Je prenais quelques affaires pour notre première nuit.
J’avais des frissons des chaleurs. Il me prenait dans les bras, on durait des heures, des nuits.
C’est demain qu’il vient ? Qu’est-ce que je dois prévoir ? Je compte sur mes doigts les heures.
Les pieds nus dans le ruisseau, la peur de ce qui se passe sous l’eau, les rires.
Accroupie dans l’eau il me prenait en photo.
Je ne les retrouve plus ces photos. Qui sont ces visages ?
Je pose mes doigts sur ma bouche, le premier baiser… où ? Je ferme les yeux.
C’est demain le rendez-vous qu’on s’est donné, je compte les heures, il manque une nuit. J’aime à l’avance le goût du réveil.
C’est demain il m’a dit je deviendrai ton époux épouse-moi.
J’avais vingt ans je brûlais en dedans, ça se voit sur la photo.
J’ai toujours l’alliance, mais les doigts gonflés, je ne peux plus la garder.
Faut-il dire mon âge ? Se souvenir ? Je ne sais plus dire.
À voir dehors depuis ma fenêtre, nous sommes en été, peut-être Juin ? Il faudrait baisser le store, le soleil me chauffe trop.
Depuis quand est-il mort ? Mort ? De qui parlez-vous ? Je compte…
J’avais fait tout le ménage, fermé les volets, éteins les radiateurs.
Il m’a dit c’est comme des vacances il m’a dit je t’emmène
je t’emmène où tu n’es jamais allée.
Dans quelques heures, j’allais être dans ses bras. Une caravane, des rideaux aux fenêtres. Les enfants. L’ombre d’un arbre une mer immense bruyante du sable qui colle à la peau.
Une promesse, j’ai sa voix dans mes oreilles, les mots accrochés à mes tympans.
Je fais vibrer mes lèvres jusqu’à l’inconfort pour ne plus entendre.
C’est demain et je le découvre de dos, c’est bien lui ?… dites ?
Adrien. Adrien. Il a chaud, marché longtemps, une drôle d’allure.
C’est demain qu’il m’embrasse comme pour la première fois ? On revit ?
En une nuit, on redevient ce qu’on était ?
Encore une nuit mais je ne dors plus si bien. J’ai vieilli.
Je sens les petites pattes d’oie au coin de mes yeux. Je les compte. Dans les quatre-vingts ans...
Cette nuit, j’ai rêvé de lui, c’est cruel comme ça paraissait vrai.
Il revient demain l’amour. Il m’a dit demain et toujours je t’aimerai à l’instant où je t’ai rencontré je t’ai aimé. Dans la rue, le ciel blanc lourd. À peine nous marchions, nous avions chaud. J’avais les épaules dénudées. Il les regardait longtemps.
C’est demain la rencontre ?
Je ne suis pas sûre. Quelle heure a t’il dit ? Quelle rue ?
J’attends assise à ma fenêtre, ça va me revenir. Peut-être dans la nuit…
C’est demain, il a dit tu trouveras une enveloppe et un papier pour toi.
Un poème ! Il m’avait écrit un poème. Tremblant d’amour. Toutes ces choses qui nous restent à vivre. Pas fini.
Pressés de vivre.
C’est si court une vie. Je l’avais appris par cœur le poème. Je me concentre…
Je ronge mes ongles, fais tomber les petites peaux mortes des mains.
Nous avons eu quatre enfants. Quel âge ont-ils ? Il faut me dire quand on sera en décembre, c’est l’anniversaire de notre petite dernière.
Quelle heure est-il ?
Vous pouvez m’épeler son prénom ? Je compte les lettres dans ma tête. J’ai une nuit sans sommeil. Pagaille à l’intérieur. Dans le crâne. Peux plus compter sur mes doigts, durs, des blocs de pierre. Yeux ouverts. A voir défiler chaque heure. Défiler la vie.