Expédition

Publié le 2 Janvier 2015

Expédition

Les éditions Thierry Magnier et la galerie Jeanne Robillard s’associent en 2012 pour créer une nouvelle collection Les décadrés. Le concept est claire : donner carte blanche à un illustrateur puis confier les images à un auteur. Deux albums sont nés : Racontars de minuit illustré par Claire Gastold et écrit par Philippe Lechermeier (2012) et Hors-pistes illustré par Tom Haugomat et écrit par Maylis de Kerangal.

Tom Haugomat est sérigraphe. Autre particularité très appréciée de cette collection : quelques pages à la fin de l’album permettent au lecteur d’entrer dans l’atelier de l’illustrateur, découvrir cette technique particulière et comprendre l’utilisation des deux couleurs.

Le décor « imposé » par Tom Haugomat est la montagne. La blancheur, la grandeur. La rondeur des vallées, de la neige sur le toit des arbres, de la route, de la barbe du personnage, des moutons… La douceur de la nature, des oiseaux, des fleurs. Le calme vertigineux, la lenteur des gestes, la lumière éblouissante. La complicité tendre entre un enfant et un homme.

Les images donnent à entendre le crissement de la neige, le vol des oiseaux, le frémissement des arbres, l’écho de la crevasse. Elles donnent à ressentir le froid et la lumière vive au sommet de la montagne.

Je retrouve dans un de mes carnets ces quelques phrases de Maylis de Kerangal (relevées quelque part ?) à propos de son travail d’écriture :

Je choisis un lieu comme décor, puis je laisse les mouvements et les gestes de mes personnages conduire le récit. J’aime décrire les petits tressaillements du corps, car je crois que tout ce qui se vit à l’intérieur de l’être humain a une traduction physique.

Dans ce décor, c’est bien l’expression du ressenti intérieur que partage Maylis de Kerangal. Le cheminement du garçon surpris de retrouver Bruce, un ami de ses parents dont l ‘évocation est trop douloureuse. Une promesse que Bruce m’avait faite le jour de mes sept ans- ou plutôt le serment crypté, vaguement inquiétant, d’aller chercher « la montagne en soi. »

Un voyage de découvertes, d’expérimentation, d’observation et de silence. Un silence nécessaire, possible au cœur de l’immensité de la montagne. Le paysage est miroir de l’âme.

Le calvaire est apparu à l’approche du vieux chalet. Une croix de bois, haute et noire. Un signe pour se souvenir de ceux qui avaient disparu (…). Alors j’ai regardé autour de moi, longtemps, en retenant mon souffle. J’ai cherché à déceler quelque chose de fatal tapi dans le paysage- je ne voulais pas d’une croix haute et noire qui pousse en moi.

La tension et la force de l’album tiennent à ces silences, aux doutes, aux tremblements intérieurs du personnage. Aux contrastes entre le vide, le plein, le froid, la chaleur, la force et la fragilité.

Dans le roman Réparer les vivants, lorsque Marianne Limbres apprend l’accident de son fils Simon, Maylis de Kerangal écrit : Elle discerne des éboulements, des glissements de terrain, des failles qui sectionnent le sol sous ses pieds.

Dans Hors-pistes, l’enfant blessé par la vie qui ressent une sorte d’éboulement à l’intérieur de son corps, puis piégé dans la crevasse, ressort différent, plus fort, plus confiant, plus désireux de vivre et surtout empli d’affection pour cet ami Bruce.

Hors-pistes Maylis de Kerangal, Tom Haugomat, éditions Thierry Magnier, Galerie Jeanne Robillard, 2014.

Cet article fait l'objet d'une parution dans la revue Les Années.

Rédigé par Audrey Gaillard

Publié dans #Lectures

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article