Cet écho d'elle
Publié le 15 Août 2015
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Une histoire principale : une enfant s’installe à une table dans un café, elle attend chaque mercredi sa grand-mère qui y travaille à l’étage pour faire le ménage.
Dans cette position, toujours la même, assise près de la dame antilope, l’enfant regarde le monde s’agiter : les gens traversent la grande salle, vont et viennent avec leurs joies, leurs peines. Des bribes de vies qu’elle observe, capte, retranscrit sur une ardoise ou dans sa tête tel le voyageur immobile dans un hall de gare, essayant de deviner les vies des passants anonymes.
Ce n’est pourtant pas un jour ordinaire : Ce matin, son ventre est dur, noué.
Ce récit est celui de l’attente, de l’ennui, de l’entre-deux, la jeune fille divague entre réalité et imaginaire, tandis qu’en elle, des bouleversements majeurs arrivent.
Elle se demande pourquoi l’aiguille des heures avance si lentement. Elle voudrait savoir ce qui se passe en elle. Elle interroge la dame antilope, qui ne lui répond pas.
Une multitude d’histoires dans l’histoire : des clients de passage que l’écriture traverse avec efficacité et sensibilité, des personnages irréels ceux des tableaux, des sculptures qui, si l’on sait les regarder se meuvent et racontent une émotion, des objets qui s’animent tels les deux lapins Poke et Peek qui dialoguent et assistent « au changement » de la jeune fille.
L’ambiance dans le café alterne entre calme et agitation, et reflète la vague qui circule en elle, qui lui provoque des douleurs au ventre mais dont elle ne comprend pas encore la signification. Ce flux dans ton corps, cette marée qui te soulève et t’emporte…tu vis un moment précieux, la belle. Cette heure qui t ‘éloigne de l’enfance, jamais tu ne l’oublieras.
Passez une journée dans un café, et vous verrez, comme elle, tout ce qui habite les gens : la jeunesse, la vieillesse, l’amour, la maternité, la peur du vide, le manque, la solitude, le désespoir, la légèreté, les rires, le trouble, l’envie, le mystère, les mots, les silences, etc. L’auteure Cécile Roumiguière réussit en peu de mots à donner à chaque personnage une épaisseur particulière.
Le monde est là devant les yeux de la jeune fille : que doit-elle comprendre des autres ? Leurs histoires lui racontent-elles quelque chose d’elle ? Qu’ont-ils en commun, qu’ont-ils de différent ?
Les illustrations, des grandes pages pleines, superposent les histoires, varient les plans, modifient les proportions. Elles donnent l’impression d’être en mouvement elles aussi et donnent à entendre l’entremêlement des conversations. Elles sont riches de détails et pour autant la part de mystère y est très importante. Lire les images de Carole Chaix fait appel à l’émotion, l’imaginaire, à notre culture commune et à la curiosité. Les illustrations fourmillent de clins d’œil, d’indices, de jeux de regards, et plusieurs lectures ne suffisent pas pour tout voir. On ne résout pas en une journée la grande question existentielle qui est celle de grandir. Le mélange d’inquiétude, de lucidité, de rêverie et de douceur est donc nécessaire.
L’album immensément poétique et créatif questionne cette expérience : être seule dans son propre corps au milieu des autres.
Mis à part le patron du café bienveillant et quelques clients, l’univers est très féminin : la grand-mère, les deux vieilles dames qui s’installent à la table des pauvres , les demoiselles du théâtre d’a côté , celle que l’on appelle Tatie Jacquie, la mère et son fils, la dame aux gants, les religieuses, une jeune femme pâle posée là comme un bouquet oublié . Des femmes qui transmettent consciemment ou non, de par leur corps, leur attitude, leurs mot, des histoires de femmes.
Sans oublier la dame antilope auprès de qui l’enfant reste assise, saurait-elle lui souffler un peu de réconfort ?
La journée se termine, l’enfant quitte le café : Sur la banquette, un halo sombre dessine un nuage, minuscule et léger. En passant devant le miroir, elle ne reconnaît pas son reflet. Mais cet écho d’elle lui plaît.
Une princesse au palais, Cécile Roumigiuère, Carole Chaix, éditions Thierry Magnier, 2012