Ah drôle d'oiseau !

Publié le 28 Mai 2014

Ah drôle d'oiseau !

Ah drôle d’oiseau !

Entêté, impertinent Ernesto ne démord pas de son idée : je ne retournerai plus à l’école.

Ernesto, c’est le personnage inventé par Marguerite Duras dans son seul et unique texte pour enfant. Texte commencé en 1968, édité en 1972 avec des illustrations de Bernard Bonhomme. Projet d’écriture né de la demande d’Harlin Quist et Ruy Vidal, éditeurs dont la production courte ( 6 années, 30 albums) mais provocante a marqué la littérature jeunesse. Katy Couprie, 40 ans plus tard, illustre ce texte pour une réédition aux éditions Thierry Magnier en 2013.

L’illustratrice fait le choix de ne jamais représenter ni Ernesto, ni ses parents, ni son maître.

C’est comme quand on se lance dans l’écriture et que l’on a l’ambition de décrire un personnage non pas par ses aspects physiques mais par ses gestes, ses objets, ses collections ou ses pensées.

Ernesto, il est donc oiseau, insecte rampant, animal de mer, papillon, légumes, racines, billes. Il est le globe terrestre, les lettres, les chiffres, les visages. Inventaire de ses connaissances. Diversité, explosion, grandeur.

Pourtant personne ne le voit.

L’enseignant ne le reconnaît pas, le père confirme : n’a l’air de rien. La mère, désemparée, proclame Un crétin ! (…) Mais oui, voilà ce que ce sera !...

Le dialogue surréaliste entre l’enfant et les adultes se poursuit, tendu, déroutant, et les images s’intercalent, imposent le rythme. Six double-pages consacrées uniquement aux illustrations et l’obstination de l’enfant qui ne décroit pas.

L’instruction est obligatoire.

Pas partout, dit Ernesto.

On est ici, crie plus fortement le maître. On est ici. On est ici et on n’est pas partout.

Moi si, dit Ernesto.

Pages plus ou moins pleines, colorées, serrées. À l’endroit, à l’envers, dans l’ombre, avec des couleurs, des transitions incompréhensibles, des interactions textes images décalées…

Je comprends rien, dit la maman. Et toi Émilio ?

Perdu le fil !...dit le papa.

Les illustrations de Katy Couprie vont plus vite que les mots, elles sont denses, déraisonnables, paradoxales, exubérantes. Sorte de fièvre, de délire.

On questionne l’intelligence, on ironise sur la pédagogie de l’enseignant impatient qui perd le contrôle, qui cache mal sa colère et les parents qui désespèrent Et j’en ai sept, monsieur l’instituteur. J’en ai sept et j’en ai marre.

En opposition, l’audace et le calme d’Ernesto. La confiance qu’il a en lui même, la détermination. La contestation.

Savoir dire Non, ça il sait Ernesto.

Ce texte engagé est écrit à un moment de l’histoire de la littérature jeunesse où tout est possible, où les idées reçues sont dénoncées. Avec cet album, l’auteure propose une réflexion sur les apprentissages, les connaissances et l’école. Réflexion essentielle et complexe, toujours d’actualité.

Dans les années 70, Harlin Quist et Ruy Vidal provoquent, séduisent les lecteurs par leur virulence. Ce n’est pas en sécurisant les enfants mais au contraire en les exposant progressivement à la vie qu’on en fait des adultes équilibrés. Ruy Vidal.

Katy Couprie, dans les dernières pages, déploie des idées non consensuelles : des animaux à deux têtes, ou sans tête, une tête de mort qui occupe la page sous un crocodile retourné, un ours en peluche enfermé dans un bocal …Tandis que le père de Ernesto se désole C’est un drôle d’oiseau, hein ?

Ah ! Ernesto, Marguerite Duras, Katy Couprie, Éditions Thierry Magnier, .

Rédigé par Audrey Gaillard

Publié dans #Lectures

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