Des histoires pour penser et apaiser…

Publié le 29 Juin 2017

Flon-Flon et Musette, Elzbieta, Pastel, 1993.

Elzbieta est née en Pologne avant la seconde guerre mondiale. Elle ne connaitra pas son père, mort à la guerre. Elle vit son enfance en Pologne, Alsace, Grande-Bretagne puis en France.

Elle crée en 1993 l’album Flon-Flon et Musette considérant que les enfants sont extraordinairement intelligents et que tous les sujets doivent être abordés avec eux. La guerre, l’abandon, l’infanticide… autant de sujets graves qu’Elzbieta traite, pour ne pas esquiver, pour leur apporter des outils et surtout de l’apaisement. Les enfants doivent avoir de la pensée autour de ces problématiques. La forme de l’album permet de mieux intégrer le fond.

 

Flon-Flon et Musette raconte l’histoire deux lapereaux subissant de plein fouet les conséquences arbitraires de la guerre, ses interdits, son infamie. La haie d’épines de la page de garde symbolise cette violence imposée.

La première page nous donne à voir les deux lapereaux. Les postures sont enfantines, les vêtements et les objets (corde à sauter, pelle, seau) ancrent les deux amis dans l’enfance insouciante et légère. L’image à fond perdu est largement occupée par l’espace de verdure et les fleurs. Ils peuvent jouer, se déplacer à leur guise. Le texte appuie cette liberté de mouvement « tantôt d’un côté du ruisseau, chez Musette, tantôt de l’autre, chez Flon-Flon ». À noter que le ruisseau n’est pas bleu. Je cite Elzbieta à ce sujet : « Contrairement à l’idée reçue selon laquelle il faut dans les images tout expliquer à l’enfant et lui montrer que l’herbe est verte comme s’il ne le savait pas, il lui est infiniment plus stimulant d’être sollicité  par une image qui n’impose pas une pensée figée et pré-établie, surtout dans l’ordre de l’archiconnu : ciel bleu, tuiles rouges (…) mais qui en revanche , procure matière à spéculation. »

La seconde image est un découpage qui pourrait être réalisé par les deux amis. Le cœur entourant les lapereaux est naïf et, à la fois, il témoigne de leur confiance en la vie et leur espoir.

 

Le texte qui suit marque une rupture avec l’emploi du mot « Mais », le basculement est également dans l’image, désormais cadrée, délimitée par une fenêtre en collage de papier. « La guerre va bientôt arriver ».

La nouvelle est donnée sans détour, sans émotion, c’est une fatalité.

 

Dorénavant, la fenêtre récurrente sur chaque page de droite, est symbole de séparation : elle sépare Flon-Flon et sa mère de son père, puis elle sépare Flon-Flon de son amie. Le père part à la guerre. Flon-Flon et sa mère sont des ombres, déjà trop éloignées.  

Flon-Flon est condamné à rester derrière la fenêtre. Elzbieta place le lecteur au plus près du personnage, il est à sa hauteur, le regarde, enfermé, triste, traversé par l’incompréhension. Le texte, toujours placé en vis-à-vis, est parfois en avance sur l’image, comme Flon-Flon en avance sur le lecteur, comme pour retarder l’émotion, l’accompagner : Musette est là dehors, un barbelé les sépare. Cette haie d’épines placée là arbitrairement souligne l’absurdité de la guerre, la désignation incompréhensible des coupables et des victimes.

« Chut ! Il ne faut plus parler  de Musette, c’est défendu !

Pourquoi ?

Parce qu’elle est de l’autre côté de la guerre. »

L’injonction de la mère est amplifiée par sa posture, elle est placée au-dessus du lapereau, elle impose cet interdit que Flon-Flon veut transgresser. « Où est la guerre ?... Je vais lui dire de s’en aller ! »

Il tente de sortir, sa jambe dépasse du cadre. L’expression du visage est déterminée, il est en colère, contrairement à la mère désemparée. Les enfants auraient-ils cette volonté innée à ne pas vouloir se résigner, à résister ?

La guerre est personnifiée, les couleurs utilisées par l’illustratrice pour la représenter sont chaudes, elles amplifient la cruauté.

 

Lorsque la guerre s’achève, elle a emporté avec elle les couleurs verdoyantes. Flon-Flon est dehors, le lecteur le voit depuis l’intérieur de la maison. Le paysage est chaotique. Cette alternance entre intérieur et extérieur crée un espace de réflexion, le lecteur est tantôt placé lui-même au cœur de cette guerre, dans l’intimité de cette famille, tantôt observateur pour réfléchir à ce fléau universel.

 

 

Le lecteur voit rentrer le père en même temps que Flon-Flon. Paysage de désolation, blessure physique et mentale.

« La guerre ne meurt jamais, mon petit Flon-Flon. Elle s’endort de temps en temps. Et quand elle dort, il faut faire très attention de ne pas la réveiller ».

 

L’ombre revient, cette fois-ci, elle souligne le temps du réconfort, de la proximité, ce sont les mots de l’apaisement prononcés par la maman de Flon-Flon : « Les enfants sont trop petits pour réveiller la guerre. »

L’apaisement s’accentue dans les pages suivantes, la vie va reprendre, le paysage est blanc, la neige l’a recouvert. Un nouveau monde est possible…

 

La dernière image est à fond perdu comme la première : la liberté est retrouvée. L’image précède le texte : les deux lapereaux sont déjà proches à se toucher, elle souligne leur impatience, leur empressement, leur volonté car c’est grâce à Musette « Elle avait fait un petit trou dans la haie d’épines ». L’écharpe rose rappelle les couleurs du découpage du cœur de la seconde page. Flon-Flon est resté un enfant, symbolisé par le jouet qu’il a sous le bras. La guerre ne lui a pas enlevé cela. Les enfants ont cette force, ils sont résilients, ils sont obstinés à préférer la vie. Les noms choisis par l’illustratrice Flon-Flon et Musette convoquent cette hymne à la vie et cette joie.

 

« Peut-être que les enfants nous sauveront tous un jour si on apprend à les regarder ». Elzbieta

 

 

Rédigé par Audrey Gaillard

Publié dans #Lectures

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