Fais ce que tu dois faire

Publié le 19 Avril 2015

Volontairement, je commence par la dernière phrase : Et il se mit à réfléchir à ce qu’il allait cuisiner. La fin de ce livre, Remue-ménage chez Madame K, est le début d’une nouvelle vie. D’une part pour Monsieur K, qui jusque-là vaquait à ses occupations : harmonica, découpage en papier de ribambelles, peinture. Des loisirs dans lesquels semble-t-il, il s’épanouissait, petitement. Cuisiner, repasser, changer les ampoules, coudre, faire les courses, jardiner, cette longue liste de tâches revenait à Madame K pour qui dorénavant la vie prend une nouvelle tournure : elle s’envole !

Madame K s’absentera de chez elle, quittera les prés des vaches et aura même l’audace de partir loin, jusqu’à la ville.

Wolf Erlbruch est auteur et illustrateur allemand. Ses livres sont publiés dans plus de vingt langues. En France, les enfants le découvrent grâce à l’album De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, chez Milan, en 1993. La force de ses albums : la délicatesse, l’humour, et la capacité à traiter des sujets existentiels comme, entre autres, Le canard, la mort et la tulipe, aux éditions La joie de lire, en 2007, ou encore La grande question, livre publié aux éditions Être et offert à tous les enfants nés en 2004 dans le département du Val-de-Marne.

Pourquoi j’existe ? Quel sens donner à ma vie ? Même question qui turlupine Madame K.

Madame K. est une dame ronde, au visage plutôt disgracieux, volontaire, généreuse mais profondément inquiète. Toujours pour tout, pour rien. Le corps bien ancré sur terre, mais au bout du compte, pourquoi ? La présence du chat ronronnant sur de nombreuses pages ne suffit pas à rassurer. Quoi qu’elle fasse, un petit nuage noir moutonne au-dessus de sa tête. Dans ce halo d’idées noires : un bouton prêt à céder, des petits biscuits à réussir, des courses à prévoir en quantité suffisante, un potentiel accident grave d’avion…

Elle, visage grave, triste.

Lui, sourire large, niais, le plus insouciant des hommes.

Quand bien même ! Le lecteur se laisse attendrir par cette image étonnante, rare, de Monsieur K. portant son épouse de tous ses bras, la tête enfouie contre la poitrine, tentant de la rassurer et de la faire sourire. C’est le lecteur qui sourit, car à la page suivante, Monsieur K, dans sa grande tendresse, peine un peu à porter Madame K, il s’enfonce dans la neige… Mais pas de moquerie, l’auteur est subtil et Madame K est si touchante. L’inquiétude atteint son sommet lorsque Madame K, dans son jardin, se met à imaginer qu’un jour le soleil ne se lève plus. Madame K. est emplie d’amour à donner et celui-ci va s’épanouir un jour : Elle aperçut une petite chose qui gisait à terre, sur le ventre ; une petite chose toute nue, aux paupières fermées, bleues comme l’azur. Désormais, un nuage bleu virevolte au-dessus de Madame K.

Trouver un sens à sa vie, s’accomplir, prendre son envol, l’ambition de l’auteur est abordée avec hardiesse et originalité de par le choix des personnages. Un couple d’un « certain » âge, sans enfant ou dont les enfants sont déjà partis de la maison, ce n’est pas si fréquent dans la littérature jeunesse. Justement, Madame K s’enhardit, elle sait ce qu’elle doit faire ou ne pas faire. Elle ne ménage pas ses efforts pour le petit être. L’oiseau nommé sans grâce Poupard, l’enfant inévitablement, devient la préoccupation majeure. Obnubilée par lui, jusque dans la chambre à coucher… Et le mari, lui reste imperturbable : Fais ce que tu dois faire. Confiance ou indifférence ?

Elle fait alors quelque chose qu’elle n’avait jamais fait. Il (Monsieur K.) vit sa femme monter péniblement dans le vieux cerisier, et s’asseoir, tout essoufflée, sur une des plus hautes branches. C’était bien la première fois que sa femme montait aux arbres ? Quelle mouche la piquait ?

Refuse-t-il de voir la transformation qui s’opère en elle ? Que comprend-il ? Le bouleversement est intérieur, elle continuera de porter le tabler noir et la robe qui ne la met pas à son avantage, mais peu importe, elle s’embellit.

Une image est magnifique : Madame K et son poupard sont de dos, assis sur la branche, pensifs. Les épaules détendues, les pieds dans le vide comme une enfant : Un sentiment étrange l’envahit tout à coup, un sentiment qu’elle n’avait jamais éprouvé auparavant.

Le je laisse la place au nous. Madame K découvre la légèreté et la liberté. Mystère et beauté la définissent désormais selon Monsieur K.

Poupard et moi reviendrons pour le déjeuner. Monsieur K hocha la tête. Faites ce que vous devez faire !

Reviendra-t-elle ? Probablement. Elle ne fuit pas, elle s’épanouit, elle reviendra, magnifique…

Audrey Gaillard

Remue-ménage chez Madame K, Wolf Erlbruch, Milan.

Fais ce que tu dois faire

Rédigé par Audrey Gaillard

Publié dans #Lectures

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article