Il fait pour elle les courses. Et d’autres tâches du quotidien.

Elle attendra le printemps ou l’été pour sortir. Elle ira jusqu’au ruisseau.

Elle se contente de leur jardin. Seulement être sous la tonnelle. La lumière fait encore mal.

Un mur pour horizon. Une ligne continue froide et frontale. Ignorer la couleur du jasmin.

Elle ira jusqu’au ruisseau et au delà.

Se barricader le ventre.

Avancer jusqu’à la tombe. La plus petite d’entre toutes.

Y déposer un bouquet, des cailloux polis ramassés sur le bord du ruisseau.

Dans le carré d’ombre sous la tonnelle, elle ne sait pas ce qu’elle attend. Elle se tient comme elle peut. Parfois, il la relève.

Elle nage dans ses vêtements. Il fait froid pour rester dehors.

Elle pleure pendant que l’eau coule. Les ongles crissent sur le rebord de la baignoire. L’eau brûle, saisit sa respiration.

Elle bascule le vélux de la salle de bain. Y tend le cou.

Elle happe l’air, comme une noyée qui remonte à la surface. Sauvée !

Sauvée, elle ne l’est pas, elle ne le sera jamais.

Le ciel est blanc, elle le préfère ainsi. Comme un ciel de fumée. Brûler la douleur. Consumer l’insoutenable. Évanouir la blessure.

Elle a la peau blanche du ciel ou d’une noyée. C’est ce qu’on dit d’elle :

elle est blanche dans le cou, dans la naissance de la poitrine, même ses lèvres sont blêmes.

Elle se regarde dans la glace comme si c’était hier qu’elle était enceinte.

Viens prendre l’air !

Ils s’avancent tous vers elle. Même lui s’y met.

Je ne peux pas. Pas.

L’histoire défile. Le regard soutenu de sa petite, à peine née. Ancrée dans sa chair, dans ses yeux écarquillés d’effroi désormais.

Laisser filer l’amour maternel, les rêves.

Crier le prénom de la petite. De l’être cher.

Frapper la porte de la chambre. De la chambre sort un silence insoutenable.

Ce n’est plus jaune sous la tonnelle.

Des clématites. Blanches.

Le ruisseau est encore loin.

Mais elle s’en approche. Elle emporte avec elle le mystère de la grossesse qui les liait toutes les deux.

Viens.

Il la précède. Il pleure des flots de larmes. Les pierres saillantes fragilisent leur démarche. Leurs ombres se renversent dans le talus. Le visage de la petite surgit des éléments. De partout.

Des herbes, du vent qu’elle n’a même pas eu le temps de connaître, encore moins d’apprendre à nommer.

Elle ira jusqu’au ruisseau.

Inhabitée et blanche, mais elle ira.

Il se le jure.

Ça sent la pluie d’été.

avril 2014

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