Proches à nous toucher

Publié le 11 Octobre 2015

Proches à nous toucher

Depuis longtemps, La Grande attendait sa petite.

Une grande page blanche. Cette seule phrase. Le ton est donné : l’intimité, le rapport fusionnel, exclusif entre ces deux êtres.

La première illustration à droite du texte est toute aussi épurée. Un personnage, une Grande, assise près d’une pierre, les bras arrondis qui entourent un vide. Là où se trouvent le cœur et le ventre.

Sur la page suivante d’un trait incertain (effet rendu par le dessin au carbone), le vide est remplacé par la Petite, qui prend dans le texte dorénavant une majuscule.

Les bras immensément longs de la Grande entourent, portent, aiment, protègent.

Débute alors un dialogue entre la Petite, curieuse, envieuse de découvrir les grands arbres, la montagne, l’île, et la Grande qui répond toujours qu’elles ont le temps, qu’elle pourra découvrir tout cela quand elle sera plus grande. Ce qui prime dans l’illustration c’est la relation entre la Petite et la Grande, la tendresse qui s’en dégage, le calme, la sérénité de la Grande. Le paysage minérale, naturel inscrit cette quiétude.

Elles semblent exister sans avoir besoin de quiconque. Les autres n’existent pas ni dans le texte, ni dans les illustrations.

Puis un matin, un matin sombre et plein d’une neige qui ne tombait pas, la Grande sut, comme on le sait parfois, que des plus tard, il n’y en aurait pas.

Qu’elles n’auraient pas le temps.

Que la petite ne serait jamais grande.

Qu’elle resterait petite, puis qu’elle ne serait plus.

La page fait écran : des gros points bleus l’envahissent, et la Petite est recouverte de points blancs. Comment y voir clair ? Comment surmonter cette épreuve ? Protéger ? Accepter la réalité ?

L’auteur n’utilise jamais les mots maladie ou mort. Jamais. La métaphore est subtile, elle est ressentie : le ciel est bas, lourd, froid.

De même, dans un autre album de Nadine Brun-Cosme Marie de la mer où le personnage féminin a tenté de mettre fin à ces jours. Elle est retrouvée allongée, vivante, sur le sable et elle ressentira à nouveau le goût de vivre entourée d’une nouvelle famille. Elle a dit que parfois on a du mal à être avec les gens, et on a très envie de se mettre dans l’eau et d’y rester. Mais quand on n’est pas une sirène, on ne peut pas y vivre. Est-ce une manière d’esquiver des sujets aussi graves, de ne pas nommer ce qui est trop douloureux ? Je pense qu’au contraire, l’auteure affronte profondément ces sujets sensibles : elle nous donne à ressentir les mots bloqués, les silences, les larmes.

La distance créée par l’emploi du passé, l’atemporalité, l’abstraction des lieux, l’absence de prénom, pourraient rendre la Grande et la Petite désincarnés, impersonnels et pourtant c’est l’effet inverse qui se produit. Elles sont proches à nous toucher, elles nous émeuvent, nous remuent viscéralement.

La Grande resta là, sans un mot. Sans un cri. Elle regarda longtemps sa Petite, sa si petite s’éloigner lentement sur la mer, s’en aller dans le grand soleil de midi. Elle était si belle, qu’elle en fut éblouie.

Nadine Brun-Cosme parvient avec mystère et délicatesse à sublimer ce moment terriblement douloureux. La Grande, parce qu’elle l’aime, regarde sa Petite partir seule : elle est une ombre qui s’éloigne, qui déjà se confond dans le bleu de l’océan.

La Grande et la Petite

De Nadine Brun-Cosme et Camille Nicole, éditions Points de suspension.

Rédigé par Audrey Gaillard

Publié dans #Lectures

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